La période française que connurent les territoires qui forment actuellement la Belgique est une époque charnière dans l’histoire de ce pays :
« Elle consacre, en effet, la fin des privilèges et du régime seigneurial, la naissance des droits de l’homme, d’un nouvel ordre institutionnel, économique, social et juridique. Elle place sur le devant de la scène un personnage jusque-là effacé dans le débat politique : le peuple. Elle laisse des traces profondes non seulement dans les dispositions législatives ou l’organisation administratives, mais aussi dans les gestes les plus anodins de la vie quotidienne : songeons au bouleversement engendré par la généralisation du système métrique ou du papier-monnaie. Enfin pour notre pays, l’époque française scelle la réunion des provinces des Pays-Bas méridionaux avec la principauté de Liège. »
À partir de décembre 1790, les États belgiques unis et la république liégeoise s’effondrent devant les armées autrichiennes. La Contre-révolution brabançonne avait été dominée par les courants les plus réactionnaires et cléricaux du pays ; dans l’espoir de leur plaire, Joseph II sacrifia, dans un esprit d’apaisement, la plupart de ses réformes progressistes à la restauration de l’ordre intérieur, sans toutefois parvenir à endiguer la contestation.
Dans la Principauté de Liège, au contraire, le prince-évêque Constantin-François de Hoensbroeck poursuit une politique revancharde et réprime durement les Liégeois en promulguant un Édit fondamental (10 août 1791) qui poussa les démocrates liégeois à rechercher un changement dans la France révolutionnaire.
Après l’échec de leurs révolutions, les restaurations, tant dans les Pays-Bas du sud que dans la principauté de Liège, furent de courte duré.
En effet, depuis le printemps de 1792, la France est en guerre contre toute l’Europe conservatrice et les armées trouvent leur premier terrain de bataille dans les Pays-Bas méridionaux.
Les exilés liégeois et belges se rassemblent à Paris où ils constituent un Comité des Belges et Liégeois unis. Les Liégeois soutiennent la réunion de la principauté à la France, tandis que les Belges espèrent mettre en place une seconde tentative d'indépendance après l'infructueux essai de 1790.
Pour ce faire, ils bénéficient d'appui en France afin d'entretenir des troupes belges et liégeoises : l'Assemblée législative vote un crédit de 500 000 livres dans ce but ; le général Dumouriez, ministre français des affaires étrangères et général en chef de l'Armée du Nord est favorable à une République belge indépendante ; le Liégeois Pierre Lebrun, membre du Comité, succède à Dumouriez au poste de ministre des Affaires étrangères.
L’Assemblée législative assure que :
« la nation française, fidèle aux principes consacrés par sa Constitution de n’entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et de n’employer jamais ses forces contres la liberté d’aucun peuple, ne prend les armes que pour la défense de sa liberté et de son indépendance »
La volonté affichée par la France à ce moment est « celle de la guerre de propagande et non d'annexion ». Robespierre écrit, le 17 mai 1792, dans le premier numéro du Défenseur de la Constitution :
« Il fallait dès l'origine et il faut encore aujourd'hui déclarer solennellement que les français n'useront de leurs forces et de leurs avantages que pour laisser à ce peuple la Constitution qui lui paraît la plus convenable. »
Dans cette guerre proclamée défensive, libératrice et non-conquérante prendrons place deux Légions belges et liégeoises.
La première occupation française (1792-1793)
Le 6 novembre 1792, l'armée menée par Dumouriez bat l'armée autrichienne lors de la bataille de Jemmapes. L'indépendance de la Belgique est déclaré le 8 novembre et les troupes autrichiennes quittent les provinces belges : Bruxelles le 14 novembre, Anvers le 30 novembre[10]. Le 19 novembre, la Convention confirme sa doctrine de propagande et non d'annexion. Les Français sont accueillis en libérateurs.
Dès le lendemain de la bataille de Jemmapes, des élections sont organisées en Flandre, dans le Hainaut, le Tournaisis et le Namurois afin d'y constituer des assemblées provinciales. Il existe toutefois des divergences de vues :
- entre Dumouriez et le Comité des Belges et Liégeois unis : le premier souhaite l'élection d'une assemblée législative tandis que le comité donne la priorité la formation d'un gouvernement provisoire.
- entre les statistes belges et les Liégeois favorables au rattachement à la France[10].
Très vite, les français changent de doctrine lorsque Brissot, qui parlait encore le 21 novembre « d'une ceinture de républiques » autour de la France, exhorte le 26 devant la Convention de reculer « nos barrières jusqu'au Rhin ». L'annexion de la Belgique est réclamée par Danton le 31 janvier 1793 dans une déclaration à la
Convention où il précise la doctrine des frontières naturelles de la France.
Les Français organisent la Belgique sous la direction de Louis-Ghislain de Bouteville du Metz qui engage d'importants prélèvements financiers dans le pays, notamment pour remettre à flot les finances de la jeune république attaquée de toute part par les monarchies européennes. Ces mesures provoquent un mécontentement dans une partie de la population, surtout dans les provinces flamandes ainsi que dans les campagnes namuroises et luxembourgeoises.
Tandis que les révolutionnaires enthousiastes se trouvaient principalement dans les principautés de Liège et de Stavelot ; ainsi qu’à Charleroi et dans le pays de Herve ; et dans plusieurs villes du comté de Hainaut. C’est de ces régions que partirent les vœux de réunion à la République que la Convention entérinera entre le 2 mai et le 8 mai 1793.
En mars 1793, l'armée française est vaincue à Neerwinden : les Autrichiens réoccupent, avec l'assentiment du peuple belge[14], les "Etats belgiques" et replacent le prince-évêque de Liège sur son trône.
La seconde occupation française (1794-1795)
Le 8 septembre 1793, les troupes françaises du général Houchard vainquent les Anglais à la bataille d'Hondschoote. Cette victoire dégage Dunkerque et permet aux Français d'entrevoir l'invasion de la Belgique comme revanche de la défaite de Neerwinden. Dès septembre 1793 donc, la Convention nationale décide de renoncer « à toute idée philanthropique » et de mener la guerre comme elle l'avait été dans tous les pays et de tous temps.
Parmi les nombreuses voix appelant au pillage de la Belgique, celle de Lazare Nicolas Marguerite Carnot :« Tout ce qui se trouve en Belgique doit être amené en France, il faut dépouiller le pays. »
Les Français vont donc mettre en œuvre les préparatifs nécessaires au pillage des pays conquis : le 13 mai 1794, le Comité de salut public crée quatre « Agence de commerce » attachées aux armées devant opérer en Belgique, Espagne, « Rhin » et « Alpes ».
Ces agences sont chargées de préparer l'enlèvement de tout ce qui pouvait intéresser la République. Quinze jours plus tard, le 28 mai, le Comité de salut public ordonne aux Représentants du Peuple et aux Généraux « d'évacuer en France toutes les richesses des pays conquis entre Sambre et Meuse, et dans les contrées voisines » ; et, le 14 juin, on charge expressément l'Agence prévue pour la Belgique de « veiller à l'extraction des objets d'approvisionnement, de commerce, d'art et de science ».
Le 26 juin 1794, les troupes républicaines remportent la victoire de Fleurus. « Retour des Français non plus en libérateurs mais cette fois en conquérants ». Les Représentants du Peuple organisent le pillage de toutes les richesses de la Belgique avant même que l'Agence n'ait le temps de terminer ses préparatifs. Et Albert Millet de conclure :
« Lorsque la Belgique fut exsangue, les beaux sentiments de fraternité refirent surface, et la réunion à la France fut, cette fois, envisagée et présentée officiellement aux Belges qui, dans leur lassitude et l'espoir d'échapper à des nouvelles impositions, se résignèrent à leur nouvelle destinée. »
Le Directoire, le Consulat et l'Empire (1795-1815)
Après douze mois de violence et de réquisitions, la France, à la suite d’un vote de la convention le 9 vendémiaire an III (1er aout 1795), annexa les anciens Pays-Bas, les principautés de Liège et de Stavelot et le duché de Bouillon le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Le Comité de salut public avait approuvé une nouvelle division territoriale en neuf départements.
Pour la première fois, une unification politique de l’espace belge était, à quelques exceptions près réalisée :
« Cette période française est décisive. Pour la première fois ont été amalgamées dans un même ensemble territorial des principautés de langue romane qui, jusque là, avaient connu des destins différents en raison des fragmentations de l’espace politique. Enfin, il convient de rappeler que ces vingt années ont laissé un héritage politique, juridique, institutionnel et culturel sans lequel il n’est pas possible de comprendre l’histoire contemporaine du pays et de ses entités constitutives »

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